lundi 14 décembre 2009

tetro de francis ford coppola


Il est de ces livres que l’on referme avec regret tant on serait bien resté avec ses personnages, dans cette ambiance, le long de cette intrigue, à presque vouloir tout de suite le relire. Tetro, est un film de cet acabit, un film qui obnubile, un film qu’on a déjà hâte de revoir. Pourquoi un tel emballement ? Parce que le talent de Francis Ford Coppola. Parce que le charisme de Vincent Gallo. Parce qu’un scénario soigné. Parce qu’une photographie d’une rare beauté. Parce que des interprétations bouleversantes de profondeur. Parce que du Cinéma, du grand.














Un choc, une rencontre
Francis Ford Coppola, dinosaure du cinéma américain s’il en est, signe en 2009, un film pudique, prégnant et introspectif. Il engouffre le spectateur dans une contrée d’Argentine au charme latino-américain archaïque et débridé. C’est dans cette carte postale sépia qu’est venu s’exiler Tetro. Cet homme grognard et mystérieux y a fuit un passé encombrant et y a trouvé l’amour en la belle et gracieuse Miranda ; laissant derrière lui, dix ans plus tôt, son petit frère Bennie. A l’aube de ses dix-huit ans, Bennie s’invite dans la nouvelle vie de son aîné, en quête de son histoire familiale et personnelle, et pour renouer avec celui qui l’a lâchement abandonné sans plus jamais se retourner. Si Miranda montre un chaleureux accueil au jeune et candide Bennie, Tetro se laisse difficilement apprivoiser par celui qui vient inopinément remuer les passages obscurs de sa vie. L’arrivée du jeune garçon réveille les peurs et les blessures enfouies de Tetro, et suscite la curiosité de sa nouvelle famille de cœur qui ignore tout de ses antécédents, à commencer par sa conjointe, son amour inconditionnel et thérapeutique. C’est le début des réminiscences, de la percée de secrets trop lourds à porter, des imbroglios de sentiments. Tetro raconte le choc frontal entre la vigueur de Bennie à se construire une histoire et la résistance obtuse de son frère à réprimer les affres du passé. Francis Ford Coppola traite le sujet de la filiation avec une justesse impeccable et déroutante de sincérité.

Un film placide et éblouissant
Le fond et la forme s’associent pour un rendu lumineux et saturé visuellement percutant en écho à la retenue et à la colère ambiante. La beauté des êtres et leurs tourments sont révélés par un noir et blanc fait d’intenses contrastes. Les jeux de lumières favorisent des blancs aveuglants, et des clair-obscurs saisissants. Coppola met ainsi en scène le présent, et revient sur les souvenirs de Tetro avec des couleurs qui apparaissent écoeurantes, lourdes, renversant habilement les codes. L’imagination de Bennie, les scènes fantasmées du passé, apparaissent comme des images de synthèse en rupture totale avec l’esthétisme alambiqué de l’intrigue. L’imagerie de ce long-métrage relève d’une extrême élégance et d’une nonchalance déroutante. Le réalisme des sentiments est sibyllin, l’émotion justement dosée, et chaque personnage cultive un mystère avec pudeur. Mais en chacun réside une chose imperceptible, vaporeuse et pesante qui plane dans l’air. Les protagonistes, Tetro, Bennie et Miranda, portent à bout de bras cette ambiance haletante et sourde. Vincent Gallo campe un Tetro criant de vérité en écorché vif cyclothymique sous le poids d’un lourd fardeau et du traumatisme. Doué d’une présence sans effets de manches, Alden Ehrenreich remplie avec brio sa tâche de cadet dans ce premier grand rôle de cinéma, il est la jeunesse, la fraîcheur, la fougue. Un physique et une aura hors du temps – qui n’est pas sans rappeler des allures de Marlon Brando – font de lui de lui le miroir subversif de Tetro. Tous deux forment un duo électrique et solaire, que vient tempérer la radieuse Miranda, éponge de leurs vertiges. L’actrice espagnol Maribel Verdù, incarne la fragilité et la poigne avec une féminité ibérique, comme si elle connaissait le secret de l’amour, portant en elle tous les extrêmes de ce sentiment sensible.

Un supplément d’âme
Buenos Aires, son quartier de La Boca, San Telmo sont les décors neutres de cette épopée introspective dont les secrets auraient dû rester à New-York. Et pourtant le retour aux sources n’y est guère que symbolique, la famille de Tetro et Bennie est originaire de la capitale argentine. La boucle est bouclée. L’atmosphère chaloupée de cette Argentine, terre d’accueil de Tetro, rend toute sa dimension indolente et passionnée à la narration. Francis Ford Coppola livre un film inspiré, le choix de l’Argentine, les références culturelles, les univers artistiques contribuent à l’identité singulière de l’oeuvre. En arrière plan, on sait le père de Tetro et Bennie chef d’orchestre de grande renommée, mégalo et malveillant, il semble être l’origine du désordre familial et des troubles qui en résultent. Le rapport à la littérature des deux fils vient comme l’exutoire de ces souffrances. Tetro, écrivain refoulé est devenu éclairagiste dans le théâtre fantaisiste d’un ami. Bennie tient en héritage cette fibre et renoue avec les textes de son aîné jusqu’à monter la pièce de leur histoire. Le théâtre est le refrain de nombreuses symboliques, la scène des démêlés, le leitmotiv de Coppélia, les images désuètes, la danse… Tous les personnages satellites appartiennent à cette caste artistique, avec leurs exubérances et leurs frasques. L’influente critique littéraire Alone, autrefois mentor de Tetro, aujourd’hui son ennemi, caricature d’une diva autoritaire est la figure de l’intelligentsia argentine dans laquelle évolue l’histoire. Sur fond de folie, de névroses, d’expressions artistiques fumeuses, de talents évanouis, d’ombre patriarcale, de fraternité sinueuse, de quête de vérité, se dessine une théâtralité grinçante.

Francis Ford Coppola réalise un film nerveux, d’une classe folle. Les bleus à l’âme et l’hypersensibilité de Tetro, captif d’une histoire hasardeuse, sont subtilement négociés par Vincent Gallo. L’intimité du secret de famille plongé dans une agitation quasi folklorique insuffle au scénario une dramaturgie jubilatoire. Éblouissant au propre comme au figuré, le dernier Coppola est un petit bijou!

H. M.

Sortie le 23 décembre 2009

Drame américain et argentin

Réalisé par Francis Ford Coppola
Avec Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Maribel Verdu, Klaus Maria Brandauer, Carmen Maura, Rodrigo de la Serna, Leticia Bredice, Mike Amigorena, Sofia Castiglione, Érica Rivas.

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the september issue documentaire de r.j. cutler










Avis à toutes les fashionistas et autres inconditionnelles lectrices de Vogue, voilà un documentaire inédit à haute teneur en style. La caméra de R. J. Cutler a accompagné Anna Wintour, la redoutable rédactrice en chef du Vogue U.S. et son équipe, de New-York, à Paris en passant par Rome, dans la préparation du numéro de septembre 2007. Bienvenue dans les backstages de la bible de la mode, aux commandes : une papesse so chic - so hard ! Mais attention, au-delà du glamour, voyez une industrie, une businesswoman.


Ames sensibles s’abstenir, il ne fait pas toujours bon vivre dans les couloirs de Vogue, sauf si la passion et l’art du chiffon hors de prix vous habitent. Il ne faut cependant pas noircir le tableau, Le Diable s’habille en Prada est une fiction.

The September Issue. L’un des numéros les plus attendus de l’année. Celui qui donne le ton de la rentrée et ouvre la saison. C’est dire les enjeux et les pressions qui incombent à la rédaction du Vogue américain, les quelques semaines qui précèdent le bouclage. Et tout cela mené de front par la charismatique Anna Wintour. Celle, qui comme par un effet papillon, fait et défait la mode à l’échelle internationale. R. J. Cutler s’immisce dans cet univers, et c’est d'un œil discret et juste qu’il dévoile la rudesse d’un milieu de beauté et de démesures. L’occasion de dresser les portraits des principaux acteurs de ce cercle fermé. Le réalisateur n’impose aucun axe particulier, ni parti pris dominant, il nous donne à voir naturellement un microcosme fait d’exubérances, d’excès, de paraître et d’une certaine fureur. Il y parvient en étant là, comme un membre de l’équipe en observation, il est le regard extérieur à qui on jette un œil complice. Il est aussi celui qui passe inaperçu, à qui on ne prête pas attention, transparent mais bel et bien présent, à qui rien n’échappe. Ainsi capte-t-il une vérité. Même plusieurs… Un traitement objectif qui familiarise le spectateur avec l’atmosphère, et permet de s’approprier l’inaccessible, la « team » d’Anna Wintour.

Lunettes noires, carré impeccable. De défilé en défilé, de créateur en créateur, de capitale en capitale, Anna Wintour l’imperturbable, scrute, donne son avis – parole d’évangile – décide, tranche, somme ceci, cela avec constance et flegme. The September Issue lève le voile sur un personnage énigmatique et singulier mais ne montre pas pour autant un monstre arbitraire. Même si une once d’autocratie règne dans les bureaux de l’institutionnel Vogue américain ! Anna Wintour est de marbre, sans doute à cause de l’éducation victorienne qu’elle a reçu de son père, lui-même grand journaliste. La carapace est épaisse, même en interview, lorsqu’elle évoque famille et carrière avec sincérité et retenue. Anna n’est pas une affreuse personne. Elle a l’élégance de toujours respecter ses disciples. Intimidante, elle sait se montrer odieuse, peu importe la présence d’une caméra, c’est bien trop naturel chez elle. Pourtant elle se raisonne et le confie. C’est l’occasion aussi pour elle de glisser sa reconnaissance envers ses partenaires professionnels de longue date et de talent. Une preuve qu’elle est humaine. Mais les sourires sont rares, l'humour pince-sans-rire mais la rigueur et l’exigence priment. Il est clair que c’est avec elle-même qu’elle est la plus stricte. Anna Wintour est carriériste, elle s’est imposée dans le monde de la mode sans condescendance mais sans pitié non plus et semble plutôt se satisfaire du rôle qu’elle endosse à la perfection.

Le Yin et le Yang. Elles sont arrivées le même jour de 1988 chez Vogue, Anna Wintour et Grace Coddington, la directrice de création, sont sœurs ennemies et pourtant les meilleures collaboratrices. Dualité et complémentarité les unissent, au-delà d’une complicité en pudeur. C’est sans nul doute le contraste entre ces deux femmes l’élément le plus riche d’intérêt du documentaire. Grace Coddington, ex-mannequin originaire du Pays de Galles fait ses débuts très jeune dans le Vogue anglais, embrassant dès lors une carrière de rédactrice mode. Elle côtoie depuis des décennies les plus grands photographes du monde et œuvre dans la création artistique du Vogue U.S. avec brio. Ce que reconnaît la rédactrice en chef, malgré leurs nombreuses discordes. L’une est une main de fer dans un gant de velours intraitable et parfois cynique et l’autre est spontanée et joviale, passionnée à toute épreuve. La seconde, Grace, apparaît non pas dans l’ombre de sa supérieure mais davantage comme un membre indispensable et respecté de l’équipe. Elle s’impose, faisant parfois fi d’Anna Wintour avec ironie et gentillesse, elle a l’ancienneté pour elle. C’est d’ailleurs l’unique personne qui parle d’Anna avec une totale liberté, sans censure ni pincettes ! Elle est vraie, et sa complicité avec la caméra de R. J. Cutler en témoigne. Elle livre son quotidien de directrice de création à la manne d’une chef pour le moins drastique avec humour et sincérité. Et le réalisateur ne s’y trompe pas, il l’apprivoise et fait de cet éternel second rôle le portrait d’une belle personne, clé de voûte du magazine de mode.

Real life. Anna Wintour n’est pas que despotique, la marchande de glamour et de luxe serait même philantrope. Celle qui défend la jeune création, soutient particulièrement Thakoon Panichgul, créateur de mode qui doit en partie sa réputation grandissante à la rédactrice en chef de Vogue. Anna Wintour reste fidèle à son image de caractère et de réussite et affiche sans complexe sa force de décision. A contrario, ce sont ses enfants sa véritable faiblesse, comme le seul élément absolu qui pourrait pour une raison ou une autre la freiner. Ce documentaire montre le triomphe de la femme moderne à son paroxysme, un symbole, un extrême aussi. Il est réjouissant de voir Anna Wintour, la mère dans un moment d’intimité chez elle avec sa fille, de saisir quelques confidences, de pénétrer l’arrière du décor sans jamais briser la glace. Réjouissant également de croiser Mario Testino, Jean-Paul Gauthier dans son atelier parisien, Andre Leon Talley sur un cour de tennis tout de Louis Vuitton vêtu …! Il s’agit là d’un vrai métier, aussi difficile que futile, celui de vendre du rêve. C’est la réalité de Vogue.

Un documentaire piquant et bien amené qui fait du spectateur un VIP, l’emmène dans la nébuleuse de Vogue et le conduit à comprendre les hautes sphères de la mode à travers ceux qui la décident et la font vivre. Amen.

H. M.

Sortie Dvd le 10 janvier 2010
Documentaire de R.J. Cutler

Avec Anna Wintour, Grace Coddington, Thakoon Panichgul et Andre Leon Talley

Sélection officielle Deauville 2009 - Festival de Cinéma Américain
Official selection 2008 Sundance Film Festival

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le petit fugitif, début du cinéma indépendant américain et prémice de la nouvelle vague

Engel, Ashley et Orkin sont entrés dans l’histoire du cinéma avec la réalisation, en 1953, du film Le petit fugitif. Devenant les pionniers du cinéma indépendant américain, ils ouvrent la marche à John Cassavetes qui sera le représentant de cette lignée de cinéastes affranchis, outre-Atlantique. Le petit Fugitif vaut à ses réalisateurs une nomination aux Oscars pour le « meilleur scénario » et reçoit le Lion d’argent à Venise l’année de sa sortie et – fait historique – partage cette récompense avec Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi sans qu’aucun Lion d’or ne soit remis cette année-là. Le film sur lequel si peu ne comptait, reçoit finalement un accueil chaleureux du public, et les faveurs de la profession. Il sera un exemple et une influence pour la génération de la Nouvelle Vague.



Le petit fugitif
est une clé de l’histoire du cinéma (indépendant) et pour cause, plus d’un demi-siècle après sa création, malgré le poids de son influence sur bon nombre de chefs d’œuvre, notamment dans la filmographie des Français Jean-Luc Godard ou François Truffaut, ce film conserve une contemporanéité immuable. Le scénario simpliste est largement enrichi par un traitement enlevé. Dans le Brooklyn des années 1950, le jeune Lennie se doit de surveiller son petit frère Joey âgé de sept ans, le temps d’un week-end pendant lequel leur mère rend visite à leur grand-mère souffrante. Joey est difficilement intégré aux jeux de son aîné et de ses amis, qui éprouvent un certain plaisir à se railler de lui. Jusqu’à une ultime plaisanterie qui amènera Joey à croire qu’il a tué son frère en s’essayant au tir à la carabine. Pris de panique, il s’enfuit emportant le pécule qui leur était destiné pour les deux jours et commence alors une errance singulière dans le parc d’attractions new-yorkais de Coney Island. Cette fugue laisse Lennie inquiet et à son tour coupable, qui prostré dans leur appartement attend le retour de son petit frère. Averti par le tenancier d’un manège de poney, il part sur sa trace dans Coney Island, à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin.

Ces faits ne sont que le point de départ de la flânerie de Joey au beau milieu d’un rêve, celui de n’importe quel enfant. Livré à lui-même, il porte sur son visage une culpabilité telle qu’il n’a plus rien à perdre, l’enfant crédule se perd alors dans les méandres de l’immensité du divertissement et de l’opulence. À l’instar d’un voyage initiatique, Joey tente tout, goûte à tout avec excès et appétence. En arrière plan de son aventure, on observe à hauteur de ses yeux, les autres enfants entourés de leur famille dans des scènes de vie banales qui sont tant d’images d’Epinal du modèle américain de l’époque. La foule frémissante qui encercle le petit Joey ne fait alors que révéler cet indicible sentiment de solitude qui l’accable. Ce cadre éducatif lacunaire le pousse à un vagabondage irraisonné, qui s’impose comme une métaphore à l’idée que l’éducation inculque les limites nécessaires à un comportement équilibré et non à une liberté précoce, insouciante et destructrice. Le petit Joey est à la fois téméraire et candide. Son regard fringuant et son allure de cow-boy, pistolet en plastique en bandoulière, contrastent avec une mine joufflue et attitude malhabile, infantile. Le regard de Joey tantôt émerveillé et étourdi par les manèges, les jeux, le spectacle des badauds, tantôt apeuré, affolé par une situation déroutante illustre son malaise entre rêverie et abandon.

Les déambulations frénétiques de l’enfant relèvent d’une certaine abstraction où toute expression figurative n’est pas à prendre à brûle pourpoint. L’errance à travers Coney Island s’avère être le noyau du film, noyau que l’on effeuille au rythme des tribulations de ce petit fugitif. L’œuvre du trio Engel, Orkin et Ashley fait la promesse d’une poésie. Une poésie en prose qui ne se suffit pas à conter l’épopée d’un enfant qui, malmené par des plus grands, se croit coupable du meurtre de son frère et engage une fugue étourdissante dans un parc d’attractions. C’est l’image sépia d’un vrai-faux petit fugitif, dont chaque expression est d’un réalisme bluffant – ses visions oniriques de Coney Island, sa perte haletante – qui opèrent comme des effets poétiques dilués et ne rendent grâce qu’à l’expérience pure. Non seulement le symbole du fugitif incarné par l’enfance et toutes ses spécificités est insolite, mais le traitement y est fraîchement amené, subtil et drôle.

Le petit fugitif n’a pas pour seul intérêt d’être un monument du cinéma. Il a pour lui de faire la représentation douce-amère que peu importe le but, c’est le chemin qui compte. L’expérience en somme, celle d’un gamin saisissant à qui tout échappe, absorbé par l’atmosphère exaltante du Coney Island des années 1950.

H. M.

Disponible en DVD

Cinéma indépendant américain

Réalisé en 1953 par Ray ASHLEY, Morris ENGEL et Ruth ORKIN
Scénario : Ray ASHLEY
Avec Richie ANDRUSCO, Richie BREWSTER, Winnifred CUSHING

théâtre: voyage pour hénoch à l'espace pierre cardin

Voyage pour Hénoch c’est un chemin de traverse, un moment suspendu. Henry et David sont observés dans l’intimité de leur salon et la cohabitation des deux frères est le lieu d’une intrigue fugace entremêlée de désordres amoureux, de questionnements politico-religieux et de problématiques familiales. Des instants de vie vers un ailleurs.


Les nombreuses interventions sur l’histoire d’Abel et Caïn, les fils d’Adam et Eve, issue de la genèse viennent comme de mauvais présages ou des échos sourds dans le duo de David et Henry. Caïn, jaloux de son cadet Abel, l’assassine, c’est le premier meurtre de la mythologie. Caïn avait un fils, Hénoch, il donnera ce nom à la cité qu’il érige pour lui. Il ne s’agit pas là de meurtre fratricide mais bien d’une relation complexe entre deux frères unis mais que tout oppose. L’aîné, Henry, est l’archétype même de l’acteur raté à l’égo surdimensionné. Il fantasme une carrière qui ne viendra pas, encore faudrait-il qu’il s’en donne les moyens. Son rêve de gloire n’est qu’une chimère mais ne l’empêche en rien de croire en son destin et d’afficher une confiance en lui exacerbée que son succès avec les femmes ne vient pas déroger. David est plus discret et compte bien construire son avenir sur du solide. Obstiné et courageux, il mise sur son assiduité dans les études pour être un jour l’avocat des innocents. Il rêve de procès grandiloquents et de succès mérités, « comme au cinéma ». C’est l’arrivée d’une femme belle et pernicieuse qui vient perturber l’équilibre de ces deux frères. Henry a aimé Lisa deux années durant et l’a laissée une nuit sans mot dire. Le temps a passé et il la retrouve un soir chez lui en compagnie de son jeune frère qui ignore tout de leur ancienne liaison. David vivra une histoire qui le comble sans jamais se douter du passif de Lisa et son aîné, qu’ils tairont d’ailleurs pour préserver son bonheur naïf.

Les frères ont perdu leur père, Henry l’a mis sur un pied d’Estale et ne pardonne pas à leur mère d’avoir refait sa vie, chose qu’il prend comme une trahison envers celui qui était tout pour eux. Tandis qu’elle prend très régulièrement des nouvelles de son aîné auprès de David, Henry refuse de la voir et entretient une relation complice avec le Vieux Charlie, le meilleur ami de leur défunt père. Juif comme eux, le Vieux Charlie tient une pizzeria qui a pour seuls clients, ses amis et Henry. Le sujet de la guerre en Iran, et les soldats israéliens qui y partent au combat sont des leitmotivs dans les conversations des deux frères, même si David semble avoir d’autres préoccupations, d’autres projets d’avenir aussi. Alors que Lisa rejoint le discours d’Henry, un jour David est appelé pour défendre sa patrie. Ce départ inopiné déstabilise (ou ravive) les rêves d’Amérique des deux frères. Henry qui est resté à Paris en raison d’une jambe plâtrée ne désespère pas, mais demeure impuissant, lui qui avait tant prôné le devoir patenté de la jeunesse israélienne. Coup du destin, acte manqué ou ironie du sort, Henry et Lisa attendent ensemble le retour du jeune et brillant David. Et New-York continue à bouilloner sans eux… Hénoch ou New-York, c’est en cet autre part que les deux jeunes hommes imaginent leur félicité, ils convoitent une contrée lointaine, un château en Espagne. Et s’ils sont animés par ce point de mire, c’est parce qu’il est alimenté par leur culture cinématographique. Les références au cinéma américain du milieu du 20ème siècle sont présentes tant dans les répliques des personnages que dans la mise en scène.

Pour fond sonore, la voix jazzy et enveloppante de Billie Holiday, côté cour et côté jardin des séquences de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, des diaporamas de photos de Grace Kelly – la ressemblance de Lisa avec la star hollywoodienne est délibérée – les répliques du Parrain de Francis Ford Coppola, tout participe à une atmosphère surannée et feutrée. Le rêve américain, la Grosse Pomme idéalisée, la pizzeria infortunée du Vieux Charlie, l’empreinte du glamour et du charme du cinéma outre-Atlantique et des mythes attenants, cette kyrielle de symboles traduisent les aspirations nostalgiques d’Henry et David. Et cette utopie d’un passé hérité de la culture cinématographie et musicale vient en fracture avec une réalité âpre, que rappellent les évocations de la situation en Iran, le départ de David, et à moindre échelle la carrière sclérosée d’Henry, un trio amoureux ambigu, une famille désunie. Ces ruptures viennent comme des anachronismes qui témoignent d’un mal être dans une époque, dans une société, dans sa propre peau symbolisée par un désir d’envol, d’exil, et d’un nouveau départ. Le voyage ne doit pas être le même pour les deux frères. Ils croient réciproquement être sur une même longueur d’onde mais ne seraient-ils pas en pleine divergence, en train de se fourvoyer sur les ambitions de l’autre ? Et si David n’était pas simplement en partance vers sa vie d’adulte et Henry en fuite d’une vie qu’il ne parvient pas à construire ? À chacun son Hénoch.

La force de cette pièce tient alors en la liberté d’interprétation qu’elle permet. À la fois palpables et abstraits, le propos et la visée sont échafaudés autour de fortes symboliques et d’un univers enlevé. L’intemporalité et la spatialité du huit clos rendent à la pièce toute sa dimension théâtrale, son sens par l’omission et son mystère. Hadrien Raccah jeune auteur déjà récompensé, et interprète dans le rôle de David, assure des débuts prometteurs en signant cette histoire allégorique, fraîche et mature.

H. M.
Voyage pour Hénoch
Une pièce de Hadrien RACCAH

Avec
Jeremy BANSTER
Marie-Gaëlle CALS
Hadrien RACCAH
Mise en scène : Anne BOUVIER
Chef décorateur : Pierre François LIMBOSCH
Production exécutive : Michelle FLAK

Du 29 octobre 2009 au 20 février 2010

Représentations les jeudi, vendredi et samedi à 20H30
Et le dimanche à 16H00

Tarif: 26 euros.

Réservation impérative par téléphone au 01 56 30 06 95 du lundi au vendredi jusqu'à 16h30.

Espace Pierre Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Métro Concorde

Retrouvez toutes les informations, des photos et des vidéos sur le site de Voyage pour Hénoch
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portrait : laurent elie badessi, révélateur universaliste du sensible


La photographie s’est imposée dans sa vie comme une évidence et pour cause, Laurent Elie Badessi incarne la quatrième génération d’une famille de photographe. La photographie s’avère être comme une filiation naturelle, la continuité de lui même, son outil indéfectible, le prolongement de son œil, l’amour de sa vie, « égoïstement » confesse-t-il. Son sacerdoce n’est autre que de regarder le monde, sa beauté, ses richesses, ses travers aussi. Il n’a de cesse de vouloir cristalliser l’inédit, capturer l’instant dans une perpétuelle quête de l’image avec le souci prononcé de l’esthétisme.


L’image, un rapport intrinsèque
Dès son plus jeune âge, Laurent montre son intérêt pour l’image par le dessin, pour muter à l’adolescence vers la photographie. Elle ne le quittera plus. Grâce à sa maîtrise du médium, comme un voyeur, il révèle ses réflexions sur le monde, son émerveillement pour l’espèce humaine dans toute la splendeur de sa diversité. Son altruisme exacerbé lui donne le goût du voyage. Dans les années 80, alors qu’il étudie pour son projet de maîtrise photo à l’université de Paris VIII, Laurent Elie Badessi part en Afrique pour analyser le rapport qu’a le peuple tribal avec le médium photographique. Il emporte avec lui une kyrielle de tenues de créateurs, et laisse aux autochtones le soin de la réappropriation du vêtement en rupture avec les codes occidentaux. C’est ainsi que naissent des clichés insolites qui lui permettent d’étudier l’impact de l’image sur les sujets, et par extension la place du photographe au sein de la population. Ce sera celle d’un magicien. À la faveur de toucher la quintessence de la réalité, s’ajoute un attrait pour la mode, le costume et le corps. Des critères qui émaneront de tous les travaux artistiques et professionnels de cet alchimiste de l’image. À 18 ans, pour financer ces études, ces photographies sont déjà publiées dans le magazine de référence Vogue Hommes aux côtés d’illustres noms de la photographie.

Un parcours polyvalent et harmonieux
Des débuts prometteurs qui présagent une carrière de photographe professionnel prolixe. Il oscille entre publicité et mode pour subvenir à ses besoins ce qui ne compromet en rien un travail artistique assidu. Laurent Elie Badessi cumule plusieurs casquettes et regrette de devoir cataloguer ses différentes pratiques de la photographie. Qu’elles soient commerciales ou artistiques toutes coïncident avec une même grâce créative. Lorsqu’il photographie des modèles non professionnels pour une série de nus dans le cadre d’un opus intitulé Skin en 2000, il s’intéresse à l’être, à la beauté pure et transcendantale. Il revient à ses premières amours, le dessin, esquisse des images fantasmées et met en scène au travers de voyages des corps dont la beauté le subjugue. S’il apprend à ses modèles à s’aimer et leur donne confiance, ce travail marque pour lui une légitimité artistique. Il s’enrichit des relations consentantes et complices avec ces mannequins d’un jour et parvient à figer l’inattendu. En vertu d’une autonomie créative, Laurent Elie Badessi s’épanouit également dans la publicité. Il signe une campagne pour la prestigieuse marque Charles Jourdan succédant au photographe Guy Bourdin. Cette commande commerciale s’intègre dans sa démarche artistique et c’est en cette qualité que la série de photographies est intégrée a la collection permanente des Arts Décoratifs à Paris. La mode et le luxe restent des leitmotivs prépondérants dans la production du photographe, qui conjugue son métier à sa passion.

Un œil sur le monde, inspiration téméraire
Exilé depuis vingt ans aux Etats-Unis, Laurent Elie Badessi témoin et observateur, réalise en 2006 une œuvre à la croisée des chemins entre esthétisme, publicité et journalisme, c’est American Dream. Bien qu’il cherche à la sublimer, il n’en demeure pas moins très fidèle à la réalité. Et c’est au gré de ses nombreux voyages à travers le monde qu’il développe un regard éclairé sur l’actualité et confère à sa démarche un caractère journalistique. Son expérience de Français expatrié outre-Atlantique lui suggère de poser un regard sur une situation ambiguë, celle de la vision de l’armée et de la guerre aux USA. American Dream ancre directement sa thématique dans le déni de l’obscure réalité des troupes américaines en Irak et l’image rendue d’une guerre aseptisée, fait des médias. Lui qui au travers des discours avec ses grands-parents qui ont connu les deux guerres mondiales a une représentation réaliste et inquiétante des grands conflits, confortée par la littérature, le cinéma et les médias, s’est familiarisé avec la peur de la guerre. Sa vision panoramique du monde, son accès à la presse étrangère ont engagé une réflexion sur l’absence de discernement des Américains vis-à-vis de la visibilité du conflit en Irak. C’est ainsi que son attachement pour le sujet survient, résultat de ses interrogations d’enfant et d’une expérience pragmatique de la rupture entre une culture emprunte du passé et cette notion inexistante aux Etats-Unis en tant que Français.

American Dream, une histoire contée
Il puise dans la presse étrangère pour fonder son questionnement et articule son travail sur American Dream, non pas comme une critique mais avec une approche journalistique singulière au regard d’une vive prise de conscience, et face au regret de ne pas partager certaines valeurs avec cette patrie qui l’accueille. Il se base sur les campagnes publicitaires nombreuses aux USA en faveur de l’armée – une institution hors d’atteinte – et met en scène le miroir du passé et du présent des soldats pris au piège d’un système ravageur. Pour ce faire, Laurent Elie Badessi use de puissantes symboliques révélant des soldats en uniformes dans une série de cinq portraits face à leur semblables en noir et blanc. Présentés comme l’alignement d’un escadron, ses militaires, héros et victimes, transcendent la vérité d’une histoire pugnace et cyclique. American Dream n’est autre que le recul de vingt ans sur l’occultation dans les médias, principalement sous l’ère du Président Georges W. Bush, d’une guerre destructrice. Tant sur le terrain que dans la chair même de la patrie, que se refusent à voir les citoyens, auprès de qui le message ne passe pas. Avec le constat tout de même que, depuis l’arrivée – historique – de Barack Obama, la situation se délie. Bien conscient du pouvoir de l’art et de l’image, Laurent Elie Badessi prône un certain engagement à travers ce postulat. Il tâche de figurer les dessous d’une guerre polémique, ses lacunes médiatiques, une réalité décevante, et le trop grand nombre de morts pour rien. C’est un projet réfléchi par un travail de recherche, en amont, dans l’actualité à la télévision et dans la presse. Cette actualité est ensuite ingérée, puis retranscrite par ce pont entre esthétisme et information à l’instar d’un scénario.

Un propos controversé, un accueil hostile
Le parti pris de l’artiste a fait des émules dans le pays pour lequel était destinée American Dream. S’il a pu utiliser de véritables uniformes pour habiller ses modèles, la démarche journalistique de Laurent Elie Badessi se voit amortie par l’emploi de modèles plutôt que de vrais soldats. Ces derniers liés à l’armée auraient trahi l’institution qui les couvent en participant à une telle œuvre. Le réalisme d’American Dream touche ainsi une limite, compliquée techniquement par des opinions divergentes entre les sujets et le sujet lui-même. Mais la mise en abîme ne s’arrête pas là : l’œuvre donne à voir le refus des Etats-Unis à accepter et montrer les images d’une guerre bien réelle et catastrophique ; cette oeuvre est ensuite rattrapée par la situation puisqu'elle fait elle-même l’objet d’une désapprobation. Laurent Elie traduit cette guerre « fanstamée » en attribuant à ses photographies une dimension policée et une force symbolique poussée à son paroxysme. Il ouvre le sillage d’une polémique et crée la controverse. Il reçoit jusqu’à des reproches racistes de la part de certains détracteurs américains. Et ce sont peut-être ces réactions violentes qui alimentent la pertinence de son sujet. Curiosité et maturité l’ont mené jusqu’à cette création affirmée, et quand bien même une poignée de collectionneurs et acteurs du monde de l’art aux Etats-Unis se sont sentis offensés, Laurent Elie Badessi assume sa pensée et l’expression qu’il exploite. Seule la galerie Adler Bertin-Toublanc de Miami a accepté d’exposer American Dream en coordination avec la Foire de l’art contemporain Art Basel. Et hormis l’article d’une journaliste américaine pour le magazine international Eyemazing, et la presse européenne, l’œuvre de Laurent Elie Badessi n’a été traitée par aucun média US. Mais l’artiste se félicite d’avoir la liberté d’exporter sa production où qu’il veuille : un contre-pied au rejet qu’il a connu aux Etats-Unis.

La photographie dans tous ses états, vecteur magnanime
S’il se refuse à généraliser, malgré le constat qu’une « partie des Américains préfère entendre un mensonge qui sonne bien plutôt qu’une vérité qui blesse », Laurent Elie Badessi continue à s’intéresser au monde et à ses complexités avec fougue à travers des images comme des histoires. Se faisant ainsi l’architecte de tant de mises en scène esthétiques et symboliques, fruits de son intérêt pour les choses de la vie et d’une curiosité insatiable. La notion d’humanité prend une part considérable dans toutes les démarches de Laurent Elie Badessi, comme en témoigne Skin et American Dream, qu’il s’agisse du respect de la nature ou des faits de sociétés les plus graves. Réaliste quant à la standardisation ambiante du fait de la mondialisation, Laurent cultive son appétence pour les cultures hétéroclites. Avide de diversité, il profite, derrière son appareil, de tous ce que les richesses du monde et des hommes peuvent rendre. Son cheval de bataille : prendre conscience de sa planète, et la photographie lui donne ce luxe d’en extraire ses trésors et ses quelques vérités…


Derrière la mode, la publicité, l’art, le photojournalisme, se dissimule le regard ébloui et l’âme philanthrope et esthète d’un homme animé par des convictions. Il a recours à la lumière pour mieux atteindre les sources mêmes de l’espèce humaine.

H. M.

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american dream de laurent elie badessi

Une thématique souvent exploitée au cinéma, celle du dessein des militaires américains qui partent dignes pour défendre leur nation en héros et se retrouvent les victimes d’un piège tragique perpétué par les Etats-Unis depuis des décennies du Vietnam à l’Irak. C’est ce que raconte Laurent Elie Badessi dans cette série de photographies efficaces : l’armée américaine, du rêve au cauchemar.

Symbolisme et concept

Cinq portraits en couleur de militaires américains font face à leurs semblables en noir et blanc. Il pourrait s’agir de ces photographies prises des soldats américains avant leur départ pour la guerre à l’attention de leurs familles, ils sont droits, patriotiques, fiers. Les clichés en couleur renvoient au départ de ces jeunes patriotes ; en noir et blanc, un retour funeste. Quatre ethnies, deux européens, un hispanique, un asiatique et un afro-américain, ou les échantillons du melting pot outre-atlantique sont ici représentées. Arborant l’uniforme de la Navy, d'Air force, de l'Army, des Marines ou des Nations Unies, tous ont les yeux bandés par un drapeau américain. L’effigie d’une toute puissance qui rend aveugles ces jeunes héros. Sur leur badge, à la place de leur nom, un mot, qui par l’association des cinq portraits forment une phrase : « ceci n’est pas un rêve ». Cette même phrase est reprise, l’ordre des mots est inversé tel un reflet inversé, sur les bandeaux cette fois noirs des photographies en noir et blanc. Sur leur badge à eux, un code barre, figure de l’anonymat pour ne pas dire de l’instrumentalisation dont sont victimes ces jeunes hommes. Des héros de la sacro-sainte armée américaine, des victimes aussi de cette même institution, deux états que suggère le halo de lumière blanche derrière leur tête. Ce sont autant de symboles que l’artiste Laurent Elie Badessi a souhaité agencer dans son œuvre American Dream.

Narration et engagement

C’est avec une forme presque narrative que l’artiste dévoile un message fort, usant d’un symbolisme exacerbé, du jeu de trahison de l’image inspiré par René Magritte et Ceci n’est pas une pipe, et de la répétition conférant à son travail une richesse de réflexion inouïe. Laurent Elie Badessi propose un art engagé qui brusque la grandeur des États-Unis. Pousser le messianisme américain dans ses retranchements n’est pas une audace rare, mais American Dream soulève des idées avec une justesse et une habileté sibyllines. L’esthétisme est simple et percutant, le message clairement lisible et pourtant le concept est subtil et tout en substance. La froideur des portraits en contraste avec la plastique parfaite des sujets révèle le cynisme de ce constat tragique que dresse l’artiste. La réappropriation de ces portraits de vaillants soldats – portant sur leurs larges épaules toute la puissance de leur pays, et qui malgré eux sont le symbole d’une cécité ambiante – garantit réalisme et exégèse. C’est un paradoxe, le prisme d’une illusion. Il y a dans cette démonstration comme une ironie néanmoins guidée par une sincérité envers la thématique grave.

Un rêve déchu

Aucun lieu commun dans cet ensemble cohérent qui forme une unité indissociable, uniquement des mises en abîme, des réflexions que l’on effeuille, des évidences que tout un chacun sait passivement. L’artiste critique les limites d’un système, la tragédie de ces jeunes Américains qui partent servir leur nation en Irak, qui s’en vont vers l’abyme ou reviennent dans l’abandon de leur mère patrie, laissés seuls à leurs angoisses, leurs maux au milieu d’une société qui peine à reconnaître le sacrifice de leur sacerdoce. L’artiste dénonce le déni de cette tragédie par un grand nombre d’américains hypnotisés par tant de propagande servile pour l’armée. Le fait de la publicité et l’utilisation de la répétition rappelle ici l’emprunte du pop art, qui fut à sa manière une critique de la société américaine, une société de consommation ultramoderne qui aujourd’hui ne semble pas avoir retenu les leçons du passé, et répète l’histoire, reproduit sans humanité l’enfer de la guerre, prenant à partie ses propres citoyens. Derrière une apparence lisse, Laurent Elie Badessi donne à voir sans nulle violence, une réalité contemporaine où le rêve n’est pas celui qu’on croit. Il prend la mesure d’un mirage tragique qui se dessine encore et encore sur le nouveau continent, pique au vif un drame sournois et décrypte une imposture latente. Il pose la question de l’ambiguïté entre la réalité galvaudée et la vérité de la Liberté de la démocratie dans les sociétés occidentales et plus largement de la guerre que seul l’homme est capable de perpétrer.


American Dream est une œuvre tout aussi accessible que complexe qui permet d’illustrer avec ferveur une des perversions du patriotisme américain. On observe dans ce miroir formel une infinité de symboles qui se répondent, un miroir dans lequel les principaux intéressés refusent de se mirer eux-mêmes.


H. M.


American Dream de Laurent Elie Badessi

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"fellini, la grande parade" au jeu de paume

Un aparté dans l’univers de Federico Fellini, l’homme, le cinéaste, le témoin d’une époque, tel est le moment passé au Jeu de Paume, au cœur d’une exposition dédié à ce génie italien. « Fellini, la Grande Parade », un mythe, un beau programme aussi…



Immersion étourdissante
De bout en bout l’exposition met le visiteur en éveil, suscite son attention l’emmenant sur le chemin d’une compréhension claire et exhaustive de l’œuvre de Fellini et de sa personnalité. Un regard est subtilement porté sur ce maître du cinéma italien avec le parti pris de s’affranchir de toute chronologie, proposant le plus simplement une lecture interactive de la création de Fellini. L’expographie est fluide et épurée laissant toute sa valeur à l’information transmise par des sélections de photographies, de dessins, des revues de presse, d’entretiens, d’extraits de films, de bouts d’essai, de notes explicatives, d’anecdotes… L’attention du visiteur est sans arrêt sollicitée par les vidéos diffusées en boucle dont la bande sonore se met en marche inopinément, créant des effets de surprise des plus originaux et délectables, lorsque que surgit une séquence de La Dolce Vita pour le plus grand plaisir de l’assistance. Le parcours s’articule autour de quatre grandes séquences : Fellini et la culture populaire, Fellini à l’œuvre, La Cité des Femmes… et la place de l’homme et enfin Fellini ou l’invention biographique. Nombreux documents exposés ici sont inédits et offrent au public le privilège d’explorer les coulisses de qui fut un tournant pour le cinéma, avec une approche de la psychologie de Fellini, insaisissable et charismatique. L’aura sinon l’âme de Fellini y est prégnante.


Un hommage dûment rendu
L’exposition se construit à l’image de ce que fut le cinéma de Fellini, hors de toute rigueur narrative, dans une abstraction sensible où la déconstruction du récit conditionne l’énergie créatrice, on saisit la manière dont il a repensé le Septième art. Et cela au gré de thématiques comme des touches de couleurs parsemées : le music-hall et le cirque, la caricature ou les romans-photos, les monstres marins ou le rock’n’roll, la reconstitution du réel à Cinecittà, la femme dans toute sa polymorphie, l’ambiguïté de son sentiment religieux, la réalité à l’épreuve de l’imagination, la psychanalyse et les rêves, son rapport aux médias, son attrait pour la presse illustrées, sa répulsion de la télévision, son dédain de la publicité, son amitié avec Marcello Mastroianni, ect. Tout relève d’une certaine contemporanéité dans son art, il fut le témoin et l’acteur d’une époque, construisant sans la savoir un héritage important pour l’histoire du cinéma avec des chefs d’œuvre comme La Strada, La Dolce Vita, 8 ½, expressément illustrés. Néoréaliste à ses débuts, le réalisateur se dédouane de tout courant, et échafaude avec une liberté de ton, une œuvre personnelle dont la toile de fond demeure une réflexion sur la création artistique puisée dans l’inconscient, le rêve, l’enfance. L’imaginaire s’entrelace au réel; les faits-divers, l’actualité inspirent le réalisateur. Fellini a érigé un mythe, marquant son cinéma de l’empreinte du grotesque et de l’extravagance dont émane la classe, la poésie et le folklore italiens. C’est sous le poids d’une carrière consacrée, celle d’un auteur remercié par la profession pour avoir écrit les belles pages du cinéma du XXe siècle et révélé des icônes – Marcello Mastroianni, son double cinématographique, Giulietta Masina, son épouse, Anita Ekberg, etc. – que Federico Fellini entre dans l’histoire avec l’élégance discrète des grands.

Le Jeu de Paume signe un hommage de qualité rendant possible une immersion dans la sphère de Fellini, composée d’archives comme des flashbacks et de pistes de compréhension de ce en quoi tient l’omnipotence fellinienne. Une exposition opérante par sa lecture pittoresque, qui dans une notion déliée de l’espace-temps, interpelle cinéphiles et curieux au gré d’un « laboratoire visuel ».


H. M.

Tutto Fellini : « Fellini, La Grande Parade »

Commissaire de l'exposition : Sam Stourdzé

Du 20 octobre 2009 au 17 janvier 2010

Horaires :

Mardi (nocturne) : 12h - 21h
Mercredi au vendredi : 12h - 19h

Samedi et dimanche : 10h - 19h

Fermeture le lundi


Renseignements :
01 47 03 12 50

Jeu de Paume — Concorde

1, place de la Concorde

75008 Paris

Métro Concorde (lignes 1, 8, 12)


www.jeudepaume.org

La rétrospective de la Cinémathèque française, qui a débuté le 21 octobre, présentera l’intégralité des œuvres réalisées par Fellini ainsi que la plupart des films à l’écriture desquels il a participé.

La cinémathèque française
51, rue de Bercy
75012 Paris

Informations 01 71 19 33 33

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art nouveau revival au musée d’orsay

Le musée d’Orsay célèbre actuellement l’Art Nouveau et délivre quelques trésors de ce mouvement fermant ainsi une boucle de l’histoire de l’art. De l’Art Nouveau à son renouveau, une exposition mieux nommée « Art Nouveau revival », où l’on virevolte de décennie en décennie pour appréhender avec délectation un pan de l’histoire, depuis les bouches du métro parisien de Guimard jusqu’aux affiches psychédéliques des Doors quelques soixante années plus tard.

Bonnie MacLean Affiche pour le concert The Yardbirds
1967, sérigraphie Paris, galerie Janos © Galerie Janos / cliché musée d'Orsay / Patrice Schmidt © Wolfgang's Vault


Histoire d’art et de goût

Cette exposition s’intéresse non pas directement à un mouvement artistique florissant - mais décrié - qu’est l’Art Nouveau à son apogée, mais bien à sa renaissance à l’ère des sixties. Fort heureusement pour faire ce pont entre Art Nouveau et Art Nouveau Revival, il est possible d’apprécier l’hommage des Surréalistes dans les photographies de Man Ray ou encore de Brassaï, le discours de Salvador Dali, des prises de vues de l’architecture de Gaudi et la reconstitution de la station Montparnasse-Bienvenüe aux formes biomorphiques d’Hector Guimard. Les lignes souples et fluides, les décors organiques et les motifs floraux et naïfs sont en grande partie sublimés par le design et le mobilier entre 1900 et 1970, sous des formes originales et audacieuses. Ici, les courbes organiques d’un paravent de Gaudi côtoient les courbes d’une autre nature, celles d’une femme dans une position suggestive et à l’allure effrontée dont le dos supporte une plaque en verre, il s’agit d'une table sculpture somme toute provocatrice d’Allen Jones créée en 1968. Les matières se confrontent, les formes sont glissantes, sensuelles, les décennies traversent les objets et les meubles, dont l’esthétisme gracieux est relevé par l’excentricité est le fil rouge.

Günter Beltzig
Chaise " Floris "
1967
Polyester armé de fibre de verre
Weil am Rhein, Vitra Design Museum
© Vitra Design Museum
© Günter Beltzig Playdesign


Ce genre inclassable est, dans le cadre de cette manifestation, scindé en étapes chronologiques. 1900, la maturité de l’Art Nouveau, 1933 c’est sa réévaluation par les Surréalistes. 1966, apparition des affiches psychédéliques et des nouveaux matériaux (robes en papier, meubles en mousse de polyuréthane, etc.). Enfin en 1974, Yves Saint-Laurent fait ses premières commandes de miroirs à Claude Lalanne: l'heure de la reconnaissance ?

Quelle que soit l’époque dans laquelle peut s’inscrire l’art nouveau, de l’architecture au mobilier, de l’illustration à la mode, l’abondante création qu’elle englobe dénote une folie douce-amère et impose avec grâce et intensité visuelle, une atmosphère onirique et bucolique. L’exposition du musée d’Orsay parvient parfaitement à faire osciller le visiteur entre les époques dans une même frénésie. L’Art Nouveau (Revival) exulte, exalte.

Épanouissement et contre-culture
L’Art Nouveau dès son origine répond à la problématique d’un certain confort de l’homme « moderne » via une liberté de mouvement rendue par des formes généreuses et la luminosité des couleurs, harmonieuses et raffinées. L’Art Nouveau célèbre la nature et la femme dans une libération des codes définie par les sens plutôt que par la raison. C’est pourquoi les années 60 permettent ce « come back » autour du psychédélisme qui illustre une période hippie, affranchie de toutes les valeurs en place, en rupture avec les autres cultures et en osmose avec la nature. Le LSD et les conceptions bohèmes de cette décennie ont su promettre à l’art une forme impétueuse et une indépendance dans laquelle le reflet de l’Art Nouveau est pertinent. Les affiches de cinéma, de concert, les revues de mode, de société témoignent alors d’un graphisme inventif dans les sillons des codes organiques et floraux de 1900. La mode, la décoration et la musique même, connaissent les influences de ce « revival ». Ce tournant est soigneusement rendu dans la salle dédiée au psychédélisme de l’exposition, grâce à l’ambiance sonore et aux extraits du Velvet Underground, et autres Doors. L’Art Nouveau est populaire, en vogue, inscrit dans son temps sans presque le savoir. Comme si d’influence en influence, ce courant se mettait à exister malgré lui dans un contexte qui lui sied à merveille. C’est une revanche sur le mauvais accueil qui lui a été réservé au début du XXème siècle, c’est aussi le signe d’une reconnaissance avérée au fil des années. Mais de l’Art Nouveau, la contestation n’est jamais loin, les artistes plasticiens des années 1960-1970 élaborent un cadre de vie alternatif et réussissent à rompre avec la tradition.

Claude Lalanne
Miroir aux branchages pour l'appartement de Yves Saint Laurent
1974-1985, bronze doré et cuivre galvanique
© Christie's Images Limited 2009
© Adagp, Paris 2009


Avec l’arrivée des années 1970, Claude et François-Xavier Lalanne saisissent une fois de plus la nature pour l’adapter au décor moderne, ils marquent une nouvelle période, celle du naturalisme, un courant perçu comme une réminiscence du baroque.

Ce sont plusieurs pages de l’histoire de l’art et du goût que l’on tourne ici avec cette revue d’œuvres irradiantes qui légitiment la prospérité de ce courant incessamment réinventé avec énergie créatrice et graphique. « Art Nouveau Revival » est un périple ésotérique dans un espace-temps fugace, une invitation à tournoyer dans des décors audacieux et sémillants.

À noter, il est conseillé de s’engager dans les méandres de l’exposition permanente du musée d’Orsay et de compléter cette première ludique et acidulée par les pièces consacrées à l’Art Nouveau dans un cadre plus classique, mais qui vient comme un bon supplément.

H. M.

« Art Nouveau Revival - Du design organique à l’affiche psychédélique 1900 . 1933 . 1966 . 1974 »

Du 20 octobre 2009 au 4 février 2010
Tous les jours, sauf le lundi, de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu’à 21h45.
Informations : 01 40 49 48 14
Tarifs : 9,50 € ; tarif réduit : 7 €

Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur, Paris 7e
RER C Musée d’Orsay ou Métro Solferino (ligne 12)

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laurent martin & domestik life and the other side


Le plasticien Laurent Martin a présenté sa série d'installation Domestik Life and the other side dans le cadre du salon d'art contemporain Mac Paris en novembre 2009.



« Si les meubles pouvaient parler, ils nous raconteraient sûrement des histoires d’Humains. »

C’est un univers très affirmé que Laurent Martin dévoile dans Domestik life and the other side. Les meubles de Laurent Martin ne sont pas ordinaires, il se les réapproprie et les détourne pour leur conférer une allure singulière. Ses installations, ou mises en scène, apparaissent comme des décors familiers et facétieux sinon oppressants, du buffet de cuisine déstructuré à l’horloge déhanchée, comme au beau milieu d’un cartoon. Les proportions sont rompues, les échelles fracturées, les couleurs saturées, la lumière repeinte de façon à exagérer les contrastes, et les repères sont ainsi malmenés. Voilà pour le visible, une esthétique du mobilier gagnée par le merveilleux. Le pragmatisme du meuble populaire et rustique est rejoint par le lyrisme d’Alice au pays des merveilles. La vocation fonctionnelle du meuble est mise à mal par tant de contre sens qui sont des allégories de l’innocence. La comparaison avec les décors du conte de Lewis Carroll est manifeste, teintés par le surréalisme de Salvador Dalí et ses objets dégoulinants.

Laurent Martin accorde une importance à la scénographie qu’il souhaite inquiétante et ludique, dans l’idée d’un dessin animé. Le regard de l’enfance se trouve court-circuité par les névroses de l’adulte, son passif et ses réminiscences réprimées. C’est l’évocation de la déformation du paysage infantile, les peurs et les souvenirs que rencontrent l’expérience. Le mobilier, héritage et témoin du passé, ce passé qui se dérobe et laisse place à des images fabulées, des interprétations, dans le prisme du vécu. D’où ce rapport aux dimensions et à la déstructuration. De ces objets, tantôt superposés, tantôt courbés, a priori inanimés, émane la vie, celle des histoires qu’ils racontent et de leurs protagonistes. Incarnés, ils semblent respirer. Il y a là donc du sensible. En vertu de la thématique design, à la lisière du dessin animé et de la physique quantique, la plasticien manipule les matières en autodidacte et use d’une spontanéité technique pour mener à bien son œuvre. Il cherche symboliquement la dématérialisation du sentiment de domination, du grand, de ces éléments dressés face au regard du spectateur, l’enfant puis l’adulte.

Sur fond social et familial, Laurent Martin traduit son questionnement personnel quant à la relation empirique de l’objet, auquel il attribue un caractère spécial le laissant transcender par son histoire, au-delà de sa super solidité. Si par extension la vie sert l’art ou l’art sert la vie, il en est de même pour le meuble. Sert-il l’homme, où – ici – l’homme lui sert-il ? Cause à effet, nécessaire et contingence, en substance la démarche artistique de Laurent Martin revient à mettre l’objet au centre de la comédie humaine, et à le faire exister sans l’homme, en son absence, dans son dos. Et le fait est que sans lui, un lit défait, un commode qui s’enfonce dans l’abîme, l’humain n’y est plus visible mais on peut encore sentir son passage, son empreinte. L’individu ou la masse, peu importe, à l’instar du Pop art qui l’inspire, l’artiste se joue du flux humain, du contenant et du contenu. Doué d’une théâtralité avérée, le meuble est dans Domestik life and the other side ravivé par sa teneur expressionniste. Le décorum y est semblable à celui délirant crée par Robert Wiene dans le film allemand de 1919, Le Cabinet du Docteur Caligari, fait de perspectives désorientées et de proportions déformées.

Laurent Martin se targue de ses influences féminines, Louise Bourgeois, Sarah Lucas et autre Tracy Emin, arborant un « raffinement grinçant ». C’est pourtant aux travaux d’hommes comme Erwin Wurm, César, Armand ou encore Claes Oldenburg que s’identifie l’auteur de ces installations râblées mais pour le moins fuselées. Laurent Martin s’inscrit dans des courants évocateurs et contigus comme le Nouveau Réalisme et l’Art Nouveau pour développer son concept.

Un fond en référence à la mythologie et une forme hyperbolique contribuent à personnifier le meuble et l’objet, psyché de ceux qui le manipulent ou le regardent. Tel est le propos de Domestik life and the other side.

H. M.

Le blog de Laurent Martin : la Main dans le tiroir

dimanche 13 décembre 2009

severine bernard & diva


Ancien étudiant des Beaux Arts de Rouen, le jeune artiste Severine Bernard entretient une relation viscérale avec l’art comme une nécessité, une quête perpétuelle. Severine Bernard emprunte instinctivement les chemins de la peinture, de la photographie et de la vidéo, et c’est en puisant dans l’introspection, qu’il arrive à ses quelques vérités esthétiques et sensibles. Il y parvient grâce à des moteurs qui sont tant des failles que le doute, les blessures de l’âme ajoutés à une curiosité d’esprit insatiable et l’héritage de ses maîtres.

Severine Bernard, identité artistique du personnage, crée l’ambiguïté entre les sexes, comme une création à son paroxysme, celle de la fusion entre l’homme et la femme. Chaque Homme porte
en lui une part du sexe opposé, plus ou moins affirmée, créant l’équilibre dont résulte la singularité d’un être. Severine, qui ne réfrène pas cette dualité, l’exprime avec Diva, un concept de féminité, une thématique, un fil conducteur en somme. La rencontre de Diva, titre d’une série prolifique et dense s’avère une étape considérable dans l’actuelle évolution artistique de Severine. L’idée de Diva constitue une ponctuation d’œuvres dont la peinture est le noyau central, le ring d’expression gestuelle. Pour cela il met sans cesse la technique au service d’un ensemble cohérent de réflexions.

La démarche artistique de l’artiste réside ici en un certain lyrisme. Il évoque avec poésie une association des supports et des idées. Le travestissement, comme un leitmotiv, lui permet une provocation tacite. Elle prodigue l’émancipation de l’être face à son image. C’est parce qu’il s’assume dans son entièreté, qu’il dérange. Un fait universel. Alors Severine s’amuse du regard de l’autre, de la bienséance. La création d’un personnage est un parti pris intervenu naturellement dans le processus de création. Et grâce à ce jeu identitaire – une façon pour lui de se dissimuler derrière un nom – Severine force l’équivoque, interroge. À l’instar de Rrose Selavy, personnage fictif créé par Marcel Duchamps où il se met lui-même en scène en travesti, Severine incarne ses autres, chemins faisant vers des réflexions sur les différents visages d’une personne au sein de son contexte social. Il agit pour cela par des impulsions artistiques proche du photoreportage, tant dans sa pratique vidéographique que photographique. Sous un fantasme rock n’roll, et des allures grimées, Severine se fait lui-même souvent son propre sujet. Il donne à voir ce que les codes sociaux récusent, en étant pourtant le résultat. Cette historique incarnation du sex, drug and rock n’roll que toute une génération porte en héritage, Severine l’illustre en filigrane dans son œuvre, conjugué à une recherche esthétique puissante.


L’œuvre picturale de Severine se traduit par l’expressionnisme abstrait s’approchant en outre de l’impressionnisme. La lumière est le sujet même de l’œuvre, une peinture abstraite dans laquelle les couleurs se jouent d’une vision éphémère, à la limite du virtuel. Le Supports/surface est une toile de fond pour le travail de Severine, qui entretient une relation vive avec la matière. Severine produit un art informel qu’il souhaite à la quintessence de la peinture non-figurative. Il s’affranchit malgré tout de cette abstraction lyrique manifeste via sa fascination pour l’art américain des années 1950. Il s’approprie une culture Pop, la culture de l’objet. Son rapport à l’image trouve son origine principalement à travers le cinéma indépendant américain. La musique, particulièrement le jazz fusion et la musique concrète, fait également partie intégrante de son inspiration. Il met en corrélation le son qu’il laisse influer sur le « rythme » de ses œuvres faites de silences et de ponctuations.


Severine oriente ses réflexions vers des thématiques physiques, les sciences cognitives, les mécaniques quantiques jusqu’à la psychologie, justifiant ainsi le combat entre conscience (qui réfléchit) et impulsion (qui transcrit) propre à sa démarche picturale. Il s’évertue à peindre non pas le réel, mais la vibration, le rythme, comme si chaque couleur était une note. Severine ne prétend pas créer mais découvrir. Il aspire en cela à une cohérence entre l’abstraction, l’expressivité et la retenue. Il fait le pont entre All over et retenue dans une subtile eurythmie alliant spontanéité et méticulosité. Severine laisse pénétrer son art par les dualités inhérentes à l’être humain, individu signé sous le signe de la bête, et oscille entre réflexion et intuition. C’est une recherche qui s’avère très propre à sa peinture, liée à la surface et à une matière colorée. Il accorde à la peinture une liaison avec le corps, négociant entre la matière et l’homme. Les dimensions de l’image et de l’expression sont intimement liées au temps et au son, également sur les supports vidéo et photo.



H.M.