lundi 14 décembre 2009

le petit fugitif, début du cinéma indépendant américain et prémice de la nouvelle vague

Engel, Ashley et Orkin sont entrés dans l’histoire du cinéma avec la réalisation, en 1953, du film Le petit fugitif. Devenant les pionniers du cinéma indépendant américain, ils ouvrent la marche à John Cassavetes qui sera le représentant de cette lignée de cinéastes affranchis, outre-Atlantique. Le petit Fugitif vaut à ses réalisateurs une nomination aux Oscars pour le « meilleur scénario » et reçoit le Lion d’argent à Venise l’année de sa sortie et – fait historique – partage cette récompense avec Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi sans qu’aucun Lion d’or ne soit remis cette année-là. Le film sur lequel si peu ne comptait, reçoit finalement un accueil chaleureux du public, et les faveurs de la profession. Il sera un exemple et une influence pour la génération de la Nouvelle Vague.



Le petit fugitif
est une clé de l’histoire du cinéma (indépendant) et pour cause, plus d’un demi-siècle après sa création, malgré le poids de son influence sur bon nombre de chefs d’œuvre, notamment dans la filmographie des Français Jean-Luc Godard ou François Truffaut, ce film conserve une contemporanéité immuable. Le scénario simpliste est largement enrichi par un traitement enlevé. Dans le Brooklyn des années 1950, le jeune Lennie se doit de surveiller son petit frère Joey âgé de sept ans, le temps d’un week-end pendant lequel leur mère rend visite à leur grand-mère souffrante. Joey est difficilement intégré aux jeux de son aîné et de ses amis, qui éprouvent un certain plaisir à se railler de lui. Jusqu’à une ultime plaisanterie qui amènera Joey à croire qu’il a tué son frère en s’essayant au tir à la carabine. Pris de panique, il s’enfuit emportant le pécule qui leur était destiné pour les deux jours et commence alors une errance singulière dans le parc d’attractions new-yorkais de Coney Island. Cette fugue laisse Lennie inquiet et à son tour coupable, qui prostré dans leur appartement attend le retour de son petit frère. Averti par le tenancier d’un manège de poney, il part sur sa trace dans Coney Island, à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin.

Ces faits ne sont que le point de départ de la flânerie de Joey au beau milieu d’un rêve, celui de n’importe quel enfant. Livré à lui-même, il porte sur son visage une culpabilité telle qu’il n’a plus rien à perdre, l’enfant crédule se perd alors dans les méandres de l’immensité du divertissement et de l’opulence. À l’instar d’un voyage initiatique, Joey tente tout, goûte à tout avec excès et appétence. En arrière plan de son aventure, on observe à hauteur de ses yeux, les autres enfants entourés de leur famille dans des scènes de vie banales qui sont tant d’images d’Epinal du modèle américain de l’époque. La foule frémissante qui encercle le petit Joey ne fait alors que révéler cet indicible sentiment de solitude qui l’accable. Ce cadre éducatif lacunaire le pousse à un vagabondage irraisonné, qui s’impose comme une métaphore à l’idée que l’éducation inculque les limites nécessaires à un comportement équilibré et non à une liberté précoce, insouciante et destructrice. Le petit Joey est à la fois téméraire et candide. Son regard fringuant et son allure de cow-boy, pistolet en plastique en bandoulière, contrastent avec une mine joufflue et attitude malhabile, infantile. Le regard de Joey tantôt émerveillé et étourdi par les manèges, les jeux, le spectacle des badauds, tantôt apeuré, affolé par une situation déroutante illustre son malaise entre rêverie et abandon.

Les déambulations frénétiques de l’enfant relèvent d’une certaine abstraction où toute expression figurative n’est pas à prendre à brûle pourpoint. L’errance à travers Coney Island s’avère être le noyau du film, noyau que l’on effeuille au rythme des tribulations de ce petit fugitif. L’œuvre du trio Engel, Orkin et Ashley fait la promesse d’une poésie. Une poésie en prose qui ne se suffit pas à conter l’épopée d’un enfant qui, malmené par des plus grands, se croit coupable du meurtre de son frère et engage une fugue étourdissante dans un parc d’attractions. C’est l’image sépia d’un vrai-faux petit fugitif, dont chaque expression est d’un réalisme bluffant – ses visions oniriques de Coney Island, sa perte haletante – qui opèrent comme des effets poétiques dilués et ne rendent grâce qu’à l’expérience pure. Non seulement le symbole du fugitif incarné par l’enfance et toutes ses spécificités est insolite, mais le traitement y est fraîchement amené, subtil et drôle.

Le petit fugitif n’a pas pour seul intérêt d’être un monument du cinéma. Il a pour lui de faire la représentation douce-amère que peu importe le but, c’est le chemin qui compte. L’expérience en somme, celle d’un gamin saisissant à qui tout échappe, absorbé par l’atmosphère exaltante du Coney Island des années 1950.

H. M.

Disponible en DVD

Cinéma indépendant américain

Réalisé en 1953 par Ray ASHLEY, Morris ENGEL et Ruth ORKIN
Scénario : Ray ASHLEY
Avec Richie ANDRUSCO, Richie BREWSTER, Winnifred CUSHING

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